Les sources de l’utopie sont d’abord antiques. Thomas More, en homme de la Renaissance, a largement puisé dans les textes grecs et latins. Certains écrits, comme ceux d’Hésiode et d’Ovide qui décrivent l’âge d’or, ont pu être source d’inspiration pour l’utopie sans en être une car ils sont nostalgiques d’un passé idéal et ne proposent pas de monde à venir. D’autres présentent des points communs avec les utopies modernes et peuvent être considérés comme des protoutopies. La description de l'île du Soleil par Iamboulos dans la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile a été écrite dans un contexte semblable à celui de la Renaissance. Les présentations par Platon de l’Atlantide dans le Timée et le Critias et de la cité idéale dans La République ont, comme les utopies modernes, une forte dimension critique et accordent une place importante à la description d’une meilleure organisation politique.

Le texte biblique, enrichi par la Tradition, propose d’autres modèles, principalement dans l’Ancien Testament. Le Jardin d’Éden, dont les hommes sont exclus suite au « péché originel », est perçu comme un lieu d’autosuffisance ; le Moyen Âge et la Renaissance en sont nostalgiques, regrettant d’autant plus ce paradis perdu que la faute, la Chute, est dépeinte de manière très négative. Babel présente un autre modèle, dans lequel les hommes sont acteurs : parlant une unique et même langue, ils construisent une tour qui leur permettra de se rassembler et d’œuvrer de manière collective.

Le Moyen Âge innove lui aussi en décrivant d’autres mondes. Au pays de Cocagne, les punitions liées à la Chute ont été abolies. Sa description permet de dénoncer certains problèmes du XIII^e siècle, époque à laquelle le texte a été rédigé. Le pays de Cocagne partage bien des caractéristiques avec les utopies du XVI^e siècle, mais présente également avec ces dernières plusieurs différences majeures : la dimension merveilleuse est prégnante et le désir prime sur la vertu. Le millénarisme, selon lequel le Christ reviendra mille ans sur la Terre avant le Jugement dernier, nourrit lui aussi les utopies, et ce jusqu’au XX^e siècle. Au fil des siècles, il se laïcise peu à peu.

Anne-Sophie Traineau-Durozoy