Introduction
Alors que certains pensent que la fiction peut permettre d’infléchir le réel, d’autres ne se contentent pas de décrire une société idéale, ils essaient également de la réaliser dans des domaines divers. Ils pensent qu’il est possible de changer le monde et que l’idéal et l’action ne doivent pas être dissociés.
Les expérimentations des premiers socialismes, des réalisations concrètes en petites communautés, qu'il s'agisse des phalanstères par Fourier ou de celles de Cabet aux États-Unis, ont une dimension politique et sociale. A Poitiers, les francs-maçons luttent contre l'emprise de l'Église pour que tous connaissent la liberté, l'égalité et la fraternité : la statue de la liberté, sur la place qui porte le même nom, illustre clairement ces objectifs. La construction européenne, dont les prémices remontent au XVIIIe siècle et qui prend peu à peu forme au tournant des XIXe et XXe siècles, envisage le changement à une toute autre échelle.
Les projets sociaux se traduisent également dans l’espace, par des architectures et un urbanisme nouveaux et adaptés. Le plan d'urbanisme de Romorantin au XVIe siècle, les salines d'Arc-et-Senans au XVIIIe siècle, le phalanstère de Fourier puis le familistère de Guise au XIXe siècle, ainsi que la cité industrielle de Tony Garnier au XXe siècle et les villes flottantes au XXIe siècle, sont quelques exemples de tentatives pour proposer des lieux adaptés à la population, dans lesquels tous peuvent vivre dans la fraternité et en harmonie les uns avec les autres.
Dans le domaine spirituel, les initiatives sont nombreuses dès l’époque moderne ; prêtres, religieux ou laïcs observent la société et envisagent des transformations, qu'ils tentent de mettre en œuvre. Dans les missions installées par les jésuites en Amérique du sud, des communautés nouvelles sont construites, dans lesquelles les indigènes sont associés aux décisions prises par les prêtres et leurs traditions sont respectées, ce qui permet un essor économique important et cause leur perte, les jalousies suscitées par leur réussite l’ayant emporté. Plus tard, au XIXe siècle, Félicité de La Mennais, qui se soucie des plus pauvres, est bien seul à demander à l’ Église de se réformer ; mais, quelques décennies plus tard, c’est le pape lui-même qui incite au renouveau : en 1891, dans son encyclique Rerum Novarum, premier texte de la doctrine sociale de l’Église, Léon XIII attire l’attention du monde sur les rapports de plus en plus difficiles entre patrons et ouvriers et, montrant que l’ Église est en droit de prendre la parole sur ces sujets, propose de nouvelles règles pour les rapports sociaux et les relations économiques. Schœnberg, quant à lui, séduit par les théories des théosophes, exprime dans sa musique ses conceptions de l’homme.
Les plupart des écrits utopiques ont une dimension pédagogique. Platon, Thomas More, Tommaso Campanella, Robert Owen, Étienne Cabet, H. G. Wells, Aldous Huxley et Burrhus Frederic Skinner évoquent tous, de manière plus ou moins détaillée, l'éducation des enfants.
D’autres initiatives existent également dans les domaines scientifique, comme les tentatives pour réanimer les morts aux XIXe et XXe siècles, et économique, à l’image de nouveaux systèmes monétaires basés sur l’échange de services. Gustave Le Bon et Sigmund Freund, quant à eux, tentent d’analyser le rôle de l’inconscient dans la réalisation d’une utopie ; leurs recherches aident à comprendre comment le rêve contribue au réel, et ainsi à la construction d'une société nouvelle.
Anne-Sophie Traineau-Durozoy