Les proto-utopies antiques : Iamboulos et l’Île du Soleil

Page de titre d'une édition de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile datant du XVIe siècle
Le voyage de Iamboulos (parfois aussi nommé Iambule) dans l’île du Soleil est souvent qualifié d’« utopie hellénistique ». Le récit de ce voyage est rapporté par l’historien Diodore de Sicile (Ier s. av. J.-C.) au livre II de sa Bibliothèque historique. Diodore affirme résumer le témoignage d’un certain Iamboulos, négociant grec qui, lors d’un voyage en Arabie, aurait été enlevé par des brigands éthiopiens, puis envoyé avec son compagnon sur un bateau en direction du sud afin d’atteindre « une île fortunée, habitée par une race d’hommes doux, parmi lesquels ils vivront une vie heureuse » (II, 55). Après avoir navigué pendant quatre mois, Iamboulos aborde à l’île du Soleil, dont il décrit longuement la géographie, le climat, les ressources naturelles, mais aussi le physique, les mœurs et l’organisation sociale des habitants. Au bout de sept ans, Iamboulos et son compagnon sont renvoyés par les Héliopolitains et retrouvent le monde qu’ils avaient quitté après une longue navigation.
L’île du Soleil présente des points communs avec l’âge d’or : elle jouit d’un climat agréablement tempéré et la terre offre ses fruits spontanément. Les Héliopolitains se caractérisent par leur beauté physique et leur frugalité ; ignorant la jalousie et l’ambition, ils vivent dans la plus parfaite harmonie. Enfin, la mort, volontaire et fixée à l’âge de 150 ans, n’est qu’un long sommeil exempt de souffrance. D’autres traits rapprochent l’île du Soleil de la cité idéale de Platon ou des utopies modernes : le souci de description exhaustive, l’isolement insulaire, l’éloignement dans l’espace, la symbolique mathématique et géométrique, l’organisation sociale rigoureuse, la communauté des femmes et des enfants, l’eugénisme. S’y pose aussi la question du lien entre utopie et uchronie : le temps, dans cette société parfaite, est purement cyclique, excluant toute idée de progrès ou de décadence – les Héliopolitains, comme tous les peuples heureux, n’ont pas d’histoire.
Bien que Diodore ne doute pas du statut de ce texte, qui relève à ses yeux du témoignage véridique, il semble bien que ce récit soit entièrement fictionnel, et l’on peut y voir à bon droit l’une des proto-utopies antiques les plus abouties. Écrite à l’époque hellénistique (IIIe-IIe s. av. J.-C.), elle porte la marque d’un contexte politique troublé, tout en reflétant le développement nouveau des voyages d’exploration, deux traits qui la rapprochent des utopies modernes. Le voyage de Iamboulos a d’ailleurs exercé une influence notable aussi bien sur More lui-même, que sur Campanella, auteur, au début du XVIIe siècle, d’une utopie intitulée La Cité du Soleil.
Liza Méry