Une uchronie : L'An 2440, de Louis-Sébastien Mercier
L’auteur
Né en 1740, Louis-Sébastien Mercier est issu de la petite bourgeoise. Il étudie au Collège des quatre nations, fondé par Mazarin, avant de décider de vivre de sa plume.
C’est par la publication, en 1771, de L’An 2440 qu’il se fait connaître. Le Tableau de Paris, imprimé à la veille de la Révolution, décrit sans complaisance, avec même une certaine férocité, la vie dans le Paris de son temps. Cet ouvrage remporte un franc succès, mais Louis-Sébastien Mercier est un écrivain particulièrement prolixe et il est aussi l’auteur de textes moins connus : des récits historiques, des essais, des poèmes, des contes moraux ou des pièces de théâtre.
L’An 2440 : un rêve ?
Dans L’An 2440, Louis-Sébastien Mercier raconte que, après une discussion avec un Anglais, il s’est endormi, puis réveillé dans le Paris de 2440, propre et lumineux. Ce procédé permet au lecteur d’entrer plus facilement dans le roman. L’auteur, en présentant en regard le nouveau Paris du XXVe siècle et ses souvenirs du XVIIIe siècle, propose une critique forte de la société et de la vie publique des Lumières. Tous les débats intellectuels de l’époque y sont présents.
Au XVIIIe siècle, beaucoup, tels Montesquieu dans ses Lettres persanes ou ceux qui prennent exemple sur L’Utopie de Thomas More, s’appuient sur un exotisme géographique pour dépeindre à mots couverts les travers de l’Europe. Mais Louis-Sébastien Mercier a choisi de proposer un voyage dans le temps.
Ce roman d’anticipation lui permet d’exposer son programme philosophique ; il y montre également son souci du bonheur humain et de sa réalisation politique. Une révolution progressive et paisible permet les évolutions nécessaires. Dans la cité idéale qu’il dépeint, la raison et la justice l’emportent. Tout est décrit de manière minutieuse, mais aucune organisation systématique ne fait craindre un totalitarisme. Il n’est pas question d’abandonner la monarchie et le libéralisme s’accompagne de la nécessité pour l’Etat de se préoccuper des moyens de subsistances de chacun.
Postérité
La censure voit rapidement qu’il s’agit d’une critique de la société contemporaine ; le livre est interdit, mais Louis-Sébastien Mercier n’est pas arrêté.
Cette interdiction n’empêche pas L’An 2440 de remporter un énorme succès. Certains considèrent le texte comme une folie, mais il est réédité une vingtaine de fois en 12 ans, imité et traduit en anglais, allemand et italien. Trois versions différentes du texte existent, celles de 1771, 1786 et 1799. Son succès se voit aussi à la diffusion de la mode des récits d’anticipation dans toute l’Europe, qui suit la publication de l’ouvrage.
Certaines des prédictions de Louis-Sébastien Mercier se révèlent vraies dès la Révolution française de 1789, ce qui permet à l’auteur d’affirmer qu’il l’a prédite. Il est très actif durant cette période, s’appuyant sur le programme qu’il a présenté dans son livre. Il est le seul à faire de son texte un tel usage, mais cet ouvrage reste un excellent témoignage de ce que les contemporains de la Révolution rêvent de mieux pour la société à venir.
Anne-Sophie Traineau-Durozoy