Utopie d’éternité. La médecine et la réanimation après la mort
Les utopies témoignent souvent de tentatives pour voir se réaliser des espérances bâties sur les fondations encore chancelantes de « nouveaux mondes ». Il en va souvent ainsi dans le domaine des savoirs scientifiques et médicaux.
Le topos du « nouveau monde » est à découvrir et/ou à façonner. Il balise jusqu'à nous l'espace de l'espérance savante. On le retrouve dans de nombreuses « utopies concrètes », qui témoignent d'une recherche expérimentale. Les chercheurs diagnostiquent empiriquement des « choses possibles » qui peuvent paraître hypothétiques.
Ces utopies se construisent sur deux espaces privilégiés de l'exercice du pouvoir médical qui se dessinent à l'époque et qu'a identifiés Michel Foucault, « le corps » et « la population ». Côté corps, nous évoquerons ici les utopies physiologiques, en particulier celle de la « résurrection » expérimentale de la chair inanimée du début XIXe siècle et la réanimation contemporaine.
Ranimer les corps après la mort ?
Le protocole de réanimation par l'électricité d'un homme mort par pendaison s'inscrit au terme d'un processus d'expérimentations physiologiques bien connues des médecins du début du XIXe siècle. Giovanni Aldini, médecin du début XIXe siècle, mène une expérience de cet ordre, le 17 janvier 1803, sur un cadavre décapité. Pour l'une de ces premières expériences le scientifique place deux pôles électriques, l’un sur les oreilles, l'autre sur le rectum. La conséquence est que le corps donne l'illusion de se mouvoir et est pris de convulsions.
Cette expérience soulève la question de la possibilité de ramener à la vie un corps considéré comme mort.
Réanimation après submersion
Petit saut dans le temps vers le XXe siècle, où le Docteur Maigne rapporte une expérience faite sur un corps inanimé. Mis en présence de deux noyés, un homme de 50 ans et un garçon de 15 ans, ayant tous les deux séjourné assez longtemps sous l'eau et ne donnant plus signe de vie, le médecin pratique immédiatement chez le premier une injection intracardiaque et chez le second une injection intraveineuse de coramine, grâce à quoi le cœur se remet à battre et les mouvements respiratoires, ébauchés, peuvent être amplifiés par le respirateur artificiel.
Julien Gaillard
Les débuts de la thanatologie
Si on doit situer le moment liminaire de la thanatologie, il aurait lieu après la seconde guerre mondiale où elle tire profit d'innovations techniques. En effet le moment décisif de cette histoire singulière a lieu lors de l'épidémie danoise de poliomyélite (une maladie infectieuse aiguë qui envahit le système nerveux et peut entraîner en quelques heures un paralysie totale) de 1952 et de la mise en place à cette occasion des « poumons d'acier ». Il s’agit d’un appareil de grande taille permettant à une personne de respirer en cas d'insuffisance de la ventilation pulmonaire, inventé par Philip Drinker et Louis Agassiz Shaw en 1928.
Voilà rendue désormais indistincte la limite naturelle entre vie et mort. Et si ces pratiques utopiques semblent anecdotiques, elles n'en révèlent pas moins la prégnance de l'utopie de la victoire sur la mort et sur le corps corrompu.
Julien Gaillard