Utopies monétaires : Contre-modèle, contre-miroir !
Les utopies monétaires sont à la base de systèmes de valeurs aboutissant à des mécanismes d’échange dits « alternatifs » ou « parallèles ».
Il s’agit de valoriser l’action de ceux qui, loin de se contenter d’échanger des services et des biens, participent également à des initiatives locales fondées sur des liens de convivialité et de solidarité que la « monnaie légale » tend à nier dans le contexte économique en vigueur. Elles sont issues des divers courants de pensée comme l’économie sociale, le socialisme utopique, l’humanisme ou le christianisme social. Le moteur de ce contre-système s’ancre dans la foi en l'Homme et en la technique qui est son outil.
Une initiative dans ce sens naît en 1930 à Wörgl en Autriche. Le maire de cette commune décide alors d'émettre des bons de travail convertibles en schillings, afin de lutter contre l'endettement et le chômage. En France cette fois, à Lignières-en-Berry, des bons d'échange sont instaurés en 1954 pour tenter de revitaliser l'activité locale.
Autre expérience : le Local Exchange Trading System (LETS ou SEL en français), fondé au Canada dans les années 1980. L’Écossais Michael Linton, qui vit alors sur l'île de Vancouver, cherche à venir en aide aux habitants de cette région touchés par le chômage. Il propose la mise en place d’un système fondé sur le troc, assorti d'une monnaie locale, le green dollar. À sa suite, c’est une vingtaine de systèmes semblables qui voient le jour sur le continent nord-américain.
En France, il faut attendre 1990 pour que soit lancé, au Mans, à l’initiative de Franck Fouqueray, le tout premier système d'échanges. Ce système, baptisé Troc Temps, a compté jusqu’à cinq cents adhérents. Le premier SEL moderne français apparaît en Ariège, en 1994. L’année suivante, Toulouse est l'une des premières grandes villes du pays à se doter d’un SEL. Dix ans plus tard, on compte 300 SEL dans 96 départements. Ceux-ci sont de tailles plus ou moins modestes (de deux à quelques centaines de membres) en fonction des régions et permettent à plus de 20 000 personnes de bénéficier de ce cadre d’échanges original. Le phénomène s’est étendu à d'autres pays européens comme la Belgique ou la Suisse, ainsi qu’en Australie, au Japon ou en Amérique latine.
Ces utopies monétaires reposent sur quatre piliers principaux :
- Un espace géographique restreint et bien délimité qui permet de lutter efficacement contre la fuite des capitaux car la monnaie fait vivre l’économie locale.
- La dévaluation progressive qui rend l’épargne inintéressante et promeut ainsi la circulation des capitaux et l’investissement.
- Le refus d’une étatisation du système qui, au-delà d’une référence altermondialiste, a pour avantage d’éviter la taxation de la monnaie.
- Remettre l’humain au centre du système, en réduisant notamment les intermédiaires.
À Poitiers par exemple, le quartier des Trois Cités apparaît comme particulièrement défavorisé : le taux de chômage y est de 28 % pour la tranche des 15-24 ans (21,5 % pour l’ensemble de la ville), la moitié des foyers est non-imposable (45 % pour la ville), tandis que 55 % de ses habitants perçoivent des prestations sociales.
C’est fort de ce constat que Jean-François Chazerans, professeur de philosophie, a eu l’idée de mettre en place un SEL dans le centre socio-culturel du quartier. Ce système, fondé sur la réciprocité et la libre initiative, fonctionne de la manière suivante : chaque adhérent inscrit sur un carnet commun les services ou savoirs qu’il met à la disposition de la communauté : cours particuliers, aide aux déplacements, participation aux tâches domestiques, etc. L’unité de compte est, quant à elle, basée sur le temps. L’échange est bien entendu personnalisé. Les transactions permettent donc de créer des rapports de confiance durables et de tisser des liens sociaux sur un pied d’égalité afin d’éviter le risque d’assistanat. Les règles sont strictes mais c’est sans doute là une condition nécessaire pour faire d’une utopie une réalité concrète !
Mostapha El Hasnaoui et Stéphane Ondo Ze