Missions

Dès leur venue au Brésil, les jésuites se consacrent à l’évangélisation et à la défense des Indiens. Évangéliser des tribus nomades dans la forêt tropicale n’est pas chose facile, d’où l’idée de les sédentariser dans le cadre de grands villages. Outre l’évangélisation, les jésuites ont la possibilité de façonner des hommes nouveaux, l’équivalent de la formation de « l’honnête homme » dans leurs collèges d’Europe. Mais les jésuites ne pratiquent jamais la politique de la table rase à la différence des établissements mexicains de la fin du XVIe siècle ; ils savent respecter la langue et la civilisation indigène. En Amazonie, les missions préservent durant des décennies quelque 50 000 indiens, jusqu’au moment où l’expulsion des Pères du Brésil ruine cette œuvre. Ces premières expériences brésiliennes ont pu servir d’exemple pour les jésuites de l’empire espagnol.

Des missions jésuites ont été fondées dans le sud du Chili ou en Équateur, mais l’histoire a retenu essentiellement le cas des missions du Paraguay. Les jésuites pénètrent dans cette région vers la fin du XVIe siècle mais ne s’implantent véritablement qu’un siècle plus tard. De part et d’autre de l’Uruguay ils fondent sept missions, ou reducciones, regroupant plusieurs villages d’Indiens sédentarisés. Une coupure est voulue avec le reste du monde ; les étrangers ne sont pas admis et l’autorité du gouverneur de Buenos Aires est « oubliée ». C’était compter sans la venue de bandes de chasseurs d’esclaves brésiliens. En 1750, les trois missions sur la rive est du Paraguay sont cédées au Portugal. Les jésuites proposent aux Indiens de se regrouper dans les quatre missions de la rive occidentale. Mais les Guaranis et quelques Pères refusent, infligeant même une sévère défaite aux envahisseurs. En 1777 la région est cédée au Portugal mais, déjà, l’œuvre des jésuites a été réduite à néant avec l’expulsion des Pères.

Les jésuites ont sédentarisé progressivement des tribus nomades et belliqueuses et apporté la paix dans cette région loin des autorités civiles et religieuses. Comme en Amazonie, ils édifient un véritable état théocratique, sous leur direction mais au profit des indiens. Les missions sont régies par les Pères avec l’aide de fonctionnaires indigènes. La région vit en autarcie, les excédents pouvant être vendus ou échangés. Des écoles sont créées et l’enseignement en guarani permet la sauvegarde de cette langue. Connaissant le goût des indigènes pour la musique, ils l’encouragent vivement et les fêtes indigènes sont tolérées. La dispersion des jésuites laisse les Indiens sans guides et cet état guarani succombe rapidement sous les coups des colons. De cette aventure des jésuites reste toutefois une trace : le guarani est la seconde langue officielle du Paraguay.

Cette utopie, des colonies regroupant des hommes partageant les mêmes convictions, a peut-être inspiré les colonies de vétérans napoléoniens dans le sud des U.S.A. et se retrouve dans les actuels villages amish.

Jacques Marcadé