Félicité de La Mennais et le rêve d’une chrétienté parfaite
Après sa mise en cause par les Lumières et la Révolution, la religion catholique connaît un renouveau marqué au début du XIXe siècle. La papauté et le clergé ont désormais lié leur sort à la Contre-Révolution, position que n'acceptent pas tous les croyants. Le XIXe siècle se présente ainsi comme une période contradictoire, qui voit l’influence de l’Église décroître dans le milieu politique et le monde des affaires, mais qui voit dans le même temps des volontés de « reconquête spirituelle des masses », aboutissant parfois à une réelle réussite. Quoi qu’il en soit, le XIXe siècle est un siècle d’innovations pour l’Église catholique, avec de nombreuses initiatives de prêtres, qui cherchent à enrayer ce mouvement de recul général de la pratique religieuse et cette perte d’influence. Parmi ces tentatives se trouve le mouvement désigné comme le « catholicisme libéral ».
Ainsi en 1825, le prêtre breton Félicité de La Mennais publie un essai intitulé De la religion considérée dans ses rapports avec l’ordre public et civil, dans lequel il déclare que l’Église doit absolument se détacher de l’État pour rester libre, sous peine de perdre tout rôle dans la société. Le catholicisme libéral est né. Pour véhiculer ses idées, Félicité de La Mennais fonde un quotidien, L’Avenir, dont la devise « Dieu et la liberté » ainsi que l’idéal prôné de religion « libérée » de l’État et la liberté d’enseignement revendiquée provoquent la colère de l’épiscopat, qui attaque vivement Félicité de La Mennais, au point d’interrompre la publication du journal en 1831, soit un an seulement après son lancement. Tout comme le radicalisme millénariste, l’utopie de Félicité de La Mennais se place en opposition et en contradiction avec la conception spirituelle de l’Église officielle. Malgré sa condamnation par le pape Grégoire XVI en 1832, Félicité de La Mennais ne renonce pas à son idéal religieux et fait paraître en 1834 un violent pamphlet intitulé Paroles d’un croyant : il y prône une Église tournée vers le progrès, la foi et la charité, qui guiderait ainsi les « masses » vers le salut tant espéré, sans l’étau étatique supra-religieux. Mais Félicité de La Mennais va plus loin : il prend aussi en considération des notions que le siècle des Lumières mettait en avant, mais que le XIXe siècle dédaigne. Ainsi, il réfléchit sur l’esclavage, son histoire et sa forme moderne. Dans Parole d’un croyant, il écrit : « La science affranchit l’homme de l’esclavage de la Nature ; le droit l’affranchit de l’esclavage de l’homme », avant d’ajouter : « si maintenant nous recherchons quel est l’état actuel du peuple […] c’est le progrès de la raison publique, qui, relevant peu à peu ce peuple abaissé au-dessous même de la brute, l’a d’esclave qu’il étoit, proclamé souverain ». Il promeut la « loi du progrès » et montre bien là encore le caractère utopique de sa pensée, révolutionnaire, à une époque où l’Église cherche encore sa place dans un monde en plein progrès. Par l’encyclique Singulari vos de 1834, Félicité de La Mennais est excommunié. Malgré son élection au siège de député en 1848, son influence intellectuelle sur certains milieux religieux décroît rapidement.
L’utopie religieuse de Félicité de La Mennais ne tombe pas dans l’oubli pour autant : des catholiques comme Charles de Montalembert ou Frédéric Ozanam lui emboîtent le pas et réclament notamment la liberté de l’enseignement. Mais le combat de Félicité de La Mennais ne s’arrête pas à son époque ; il jette les bases d’un véritable débat « socio-théologique » qui se tient dès le début du XXe siècle : l’Église doit-elle continuer à placer la vérité qu’elle prône au-dessus de la liberté et de tous les acquis révolutionnaires ? Cette controverse n’est que partiellement résolue avec la loi du 9 décembre 1905 imposant la séparation de l’Église et de l’État.
Lucy Vallée