Icarie

Portrait d'Étienne Cabet

Portrait d'Étienne Cabet

Les hommes ont besoin d’espoir. Au XIXe siècle, pendant l'industrialisation, les classes les plus pauvres se sentent exploitées par les plus riches. Plusieurs socialismes formalisent cette lutte des classes sociales. Étienne Cabet propose une autre vision humaniste de la société où le quotidien peut être amélioré rapidement, sans attendre une révolution sociale et un bonheur lointain.

Né en 1788, il devient avocat, puis fait partie des dirigeants de la Charbonnerie. Mais il doit s’exiler pour délit de presse après la fondation de son journal Le Populaire en 1833.

Arrivé à Londres, il rencontre Robert Owen, fondateur de plusieurs villages communautaires, qui lui donne comme exemple le Texas, terre vierge idéale pour fonder des colonies icariennes. Cabet affirme que l’égalité et la fraternité sont primordiales pour accéder au communisme, seul capable d’apporter le bonheur aux hommes. La liberté est une notion secondaire.

<p>Page de titre de l'édition de 1848 de <em>Voyage en Icarie</em></p>

Page de titre de Voyage en Icarie d'Étienne Cabet

Voyage en Icarie, roman à succès publié en 1840, rassemble sa pensée. Icarie est un monde heureux imaginaire où les mots d’ordre sont égalité et fraternité. L’utopie cabetiste se base sur la religion chrétienne ; le sens de la communauté est parfaitement illustré par l'exemple du Christ. Étienne Cabet écrit : « Notre communisme icarien est le vrai christianisme. » Il contredit l'idée chrétienne selon laquelle il faut mourir pour connaître le paradis ; lui pense que le paradis est à construire sur terre. Dans le monde romanesque de Cabet, la nature rendra aux hommes leur instinct de partage et de vie en communauté. Ainsi, les Icariens ne possèdent rien ; ils n’éprouvent donc ni la pauvreté (car ils sont égaux dans le dénuement), ni la crainte (car aucun Icarien n’est inspiré de mauvais sentiment).

 

<p>Registre de la colonie icarienne de Nauvoo</p>

Registre de la colonie icarienne de Nauvoo

L’Icarie n’est plus seulement une utopie littéraire, elle se réalise. Le 3 mai 1848, 69 Français quittent le pays en direction du Texas, sans Cabet qui les rejoint après avoir purgé une peine de prison. Leur recherche du nouvel eldorado est longue et éprouvante. Cependant, entre la réalité et l'imaginaire, les différences sont énormes. Tout est à construire ; les maisons au confort inégal dont parle Cabet ne sont pas là ; il n'y a que des cabanes à bâtir. Étienne Cabet pense que la nature est « un modèle de bonté », mais les inégalités ne disparaissent pas avec la vie dans la nature. 

Pourtant, sept colonies icariennes sont fondées. Dans l’Illinois, Nauvoo est prise en main par Étienne Cabet ; on compte de 1851 jusqu’à sa division en 1856 près de 2 500 personnes y ayant vécu (Français comme Américains). Les terres y sont fertiles, bien que le climat soit rude ; la constitution fonctionne ; les gens semblent heureux. Or, en 1856, une crise surgit critiquant l’autoritarisme du père de l’Icarie et le manque de liberté de ses fidèles. Cette année-là, Étienne Cabet choisit de partir plutôt que de tenir tête à ses disciples révoltés ; certains le suivent et fondent une nouvelle colonie dans le Missouri.

Finalement, le mal que fuient les disciples de Cabet n'est pas dans le sol ou dans leur constitution, mais dans la nature humaine. L’apport des Icariens et de leur père fondateur à l’évolution de la société est d’avoir permis aux gouvernements futurs de s'intéresser davantage aux classes les plus modestes de la société en leur offrant un présent et avenir plus heureux. Plusieurs familles icariennes sont restées aux États-Unis poursuivant leur quête du bonheur commun. Leurs descendants se réclament fièrement de leurs origines et quelques musées leur sont consacrés dans les anciennes colonies.

Pierre Bigot