Walden Two, de Burrhus Frederic Skinner

 

« Education is what survives when what has been learned has been forgotten. »

New Scientist (21 May 1964)

 

<p><em>Walden two</em>, de B. F. Skinner</p>

Walden 2, de B. F. Skinner

Si Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) est connu dans le monde éducatif, c'est d'abord pour ses travaux de psychologie. Cet universitaire américain est en effet un des fondateurs du behaviorisme (ou comportementalisme) : cette approche consiste à se concentrer sur le seul comportement observable, fruit des interactions de l'individu avec son milieu. Dans le domaine pédagogique, cela a entraîné une conception particulière de l'apprentissage. Concrètement, les enseignants renoncent à explorer la « boîte noire » que constitue le cerveau de l'élève ; au contraire, ils doivent seulement viser une amélioration de ce qu'il fait et ajuster leurs réponses correctives en conséquence. Si cette théorie, remontant à Pavlov, est décriée aujourd'hui, elle a produit des effets positifs indéniables pour les éducateurs : baser son évaluation sur l'activité réelle de l'élève (et donc penser davantage en termes de compétences) au lieu d'interpréter vainement ce qu'il pense, bien définir l'objectif visé avec ses critères de réussite, indiquer clairement à l'élève un « retour » (feedback) pour qu'il améliore son travail, penser les feedbacks aussi en termes positifs (comme des félicitations), concevoir l'acte d'enseignement-apprentissage également comme un acte de communication. L'influence a été telle qu'on a pu envisager la naissance d'une «  révolution scientifique de l'enseignement », titre d'un de ses ouvrages de 1968, à la base de la fameuse pédagogie par objectifs ou de l'enseignement programmé. Ainsi, par exemple, la pédagogie sous-tendant les laboratoires de langue s'est très clairement inspirée de ce courant. On en retrouve encore la trace dans bon nombre de logiciels éducatifs aujourd'hui.

Mais, avant ses publications psychologiques majeures, Skinner publie en 1948 Walden Two, récit utopique, reprenant le thème classique du voyage – certes limité, le départ et l'arrivée s'effectuant à l'intérieur des États-Unis. Les protagonistes sont surtout des universitaires partis à la découverte d'une communauté déjà existante (Walden two, dans l'Ohio), qu'ils explorent en toute liberté durant une semaine, provoquant des réactions variées voire opposées dans le groupe, de l'adhésion au rejet.

Par rapport au radicalisme collectiviste des socialistes du XIXe siècle, la communauté ménage une large place à l'individu. Elle ressemble matériellement à un village, avec des équipement collectifs (dont le réfectoire, où l'on dispose de larges plages horaires pour manger quand on veut, un centre médical, une bibliothèque avec « les meilleurs livres, à défaut du plus grand nombre » ). La communauté n'est pas autarcique ou coupée du monde ; la propriété n'est pas abolie (la monnaie l'est) mais seulement limitée, permettant la combinaison d'une certaine frugalité et d'un niveau de vie élevé. Les conjoints (s'ils sont mariés, ce qui n'est pas obligatoire) font chambre à part pour préserver une sphère individuelle. L'égalité sexuelle règne, mais pas l'uniformité ou l'égalitarisme absolu. Le travail est géré collectivement, rémunéré par un système de crédits, permettant à chacun de varier ses activités et de moduler son temps de travail dans la journée (4h quotidiennes restant un minimum). Les loisirs sont donc variés et nombreux, en excluant toutefois les activités trop compétitives. La direction de la communauté est collégiale mais non élective, aux mains d'experts.

L'éducation (mixte) reflète cette tentative d'équilibre entre les aspirations individuelles et le bien-être de la communauté. Les enfants sont élevés collectivement, de façon à recevoir l'amour de tous, mais par les mères elles-mêmes, au sein d'une pouponnière. La communauté n'est pas religieuse : libre à chaque famille de dispenser cette éducation aux enfants. Là où on peut retrouver les conceptions du futur psychologue behavioriste, c'est dans l'éveil des jeunes enfants où on introduit des contrariétés pour leur apprendre à s'adapter aux inévitables frustrations de la vraie vie et de se préparer à l’adversité. Ils apprennent ainsi à ne pas se laisser submerger par leurs émotions, voire à s'écarter de toute situation dangereuse. En revanche, les punitions et remerciements sont jugées inefficaces... L'éducation suit une forme de méthode naturelle : l'éducation n'hésite pas à sortir de la classe, à laisser l'enfant choisir une partie de ce qu'il veut apprendre (en stimulant la curiosité), à porter sur l' « apprendre à apprendre » (on parlerait aujourd'hui d'apprentissage méthodologique ou de méta-cognition), à laisser le jeune progresser à son rythme de manière différente selon les apprentissages suivis, à ne pas enseigner l'histoire, jugée peu importante par l'auteur, mais à rendre disponibles les livres, à ne pas obliger les enfants à travailler mais à les payer s'ils aident les adultes... Si l'enseignement supérieur se poursuit dans les universités du pays, les adultes sont libres de se former comme ils veulent et de proposer leur savoir aux autres.

Ces principes pédagogiques ne sont pas nouveaux en 1948 : une bonne partie d'entre eux a été défendue dès les années 1930, aux États-Unis et en Europe (on pensera aux similitudes avec ce que propose Célestin Freinet par exemple en France). L'originalité est d'insérer ces pratiques nouvelles – et beaucoup sont encore assez révolutionnaires en ce début du XXIe siècle - dans une communauté pacifiée et apaisée et où l'intérêt général ne justifie pas un contrôle totalitaire. Elle préfigure dans une certaine mesure les tentatives de communautés hippies vingt ans plus tard. Il existe aujourd'hui encore quelques communautés qui s'inspirent directement de Walden 2 (Twin Oaks depuis 1967 en Virginie, Los Horcones depuis 1973 au Mexique). Ceci explique sans doute pourquoi le livre a été régulièrement réédité.

Pour l'anecdote, il n'est pas exclu que la sérié animée The Simpsons lui rende hommage, à travers le principal du collège qui porte le nom de Skinner.

Yvan Hochet

 

 

 

 

 

Pédagogie
Walden Two, de Burrhus Frederic Skinner